(Le système capitaliste est incompatible avec toute amélioration rationnelle.)

GRENZE est une série de lectures visuelles à partir du Capital de Karl Marx livre 1.

GRENZE est composé de séquences appelées UNITES DE DEVELOPPEMENT ARTIFICIELLES. (UDA) qui correspondent à des notes dessinées prises pendant mes lectures du Capital. A chaque UDA correspond un fragment du texte de Karl Marx.

Certaines UDA sont des animations 2D image par image appelées mouvements idiots, tandis que d'autres, aux mouvements plus complexes, reproduisent des mouvements réels et métamorphiques conçues avec un logiciel (3D).

Dans le Capital, Marx utilise souvent les mots formes, mouvements, mécanisme, divisions, circonstances nouvelles, limites organiques, transformations, révolution. Quand il parle de l’ouvrier, il le décrit comme agent très imparfait dans la production d’un mouvement continu.

Dans GRENZE, le capital est représenté par un cube appelé cube-capital en perpétuelle transformation. Une deuxième figure, une larve, représente les marchandises, tandis que les ouvriers sont représentés par un triangle, la figure-ouvriers, qui se transforme en s’appauvrissant. Le traitement à l’image s’attache à faire évoluer en permanence non seulement la forme mais la matière de ces figures.

« C'est une part de sa beauté que la liberté qu'il prend avec le Capital où il a sa source, et avec lequel il entretient une étrange relation de proximité et de distance, un peu comme un relief archéologique avec ce dont il est trace, fragment. Cela nous redonne la chose comme depuis après son engloutissement, comme de l'autre côté d'une disparition ; cela cherche comment rendre à nouveau le Capital audible, ou lisible, parce que visible (très immédiatement, cela a eu pour effet, entre autres, de nous faire aller en relire des petits bouts, juste après avoir regardé tes notes dessinées). » Muriel Combes et Bernard Aspe, philosophes.

Les vocabulaires filmiques employés explorent en somme les variables de la production des images : dessin, calcul 3D, enregistrement vidéo, comme autant de systèmes de production affectant la représentation.
L’image se double puis se dédouble, s’approfondit, fait écho à elle-même. Elle vit de ses ombres, de sa profondeur.

Avec Pierre-Yves Fave, nous avons ouvert un dialogue entre l’outil informatique et le geste dessiné et animé : dans GRENZE nous avons cherché à être cohérent graphiquement avec la teneur de ce qu'est le capital : un ensemble de rapport de forces agissant sur notre environnement et sur nous.

1 - Une notion de rapport de flux, de tensions, d'équilibres.
Pour cela nous avons utilisé l'animation dynamique d'objets, dynamique s'opposant en animation avec la notion d'image clef.
C'est le type d'animation que l'on trouve plutôt dans les logiciels de simulation, de mécanique....
C’est-à-dire que les données entrées sont un "état de départ" de solides ou de fluides et de forces qui agissent sur eux et que l'ordinateur produit une animation basée sur les propriétés physiques de la matière, sur les collisions entre éléments opposés.
Si nous connaissons le point de départ de l'animation, sa fin nous est inconnue avant le calcul, un peu comme nos vies.

2- la notion de feedback -
Si le capital est basé sur la notion de croissance, l'équilibre naît du "retour" ou l'élément agissant devient celui sur lequel on agit.
Que ce soit la monnaie, la valeur, la marchandise ou l'ouvrier aucun n'est maître du cycle créé par ce modèle économique.
Pour traduire cela, nous utilisons différents systèmes qui réinjectent le signal de sortie dans une entrée, cela produit "le vent", sorte de larsen vidéo et le refilmage d'un écran de télé nous produit une mise en abîme de l’image qui se redouble.

La majorité des séquences de GRENZE sont également le fruit de traductions ou interprétations multiples.
Dans le processus de fabrication un passage du texte devient dessin puis 3d puis re-dessin puis animation sonore, par exemple.
Chacune de ces étapes nous donne une lecture différente du texte d'origine, et nous permettent d'illustrer sans fermer la possibilité d'interprétations multiples.


(des petites communautés de vie)
GRENZE fait entendre des fragments du Capital et des Grundrisse (manuscrits 1857-1858), par le biais de voix off. Ces voix sont celles des stagiaires d’une association AERI qui propose des stages à des personnes en difficulté en région parisienne. D’autres voix viennent s’ajouter : celles d’artistes, des comédiens et des enfants. En mars 2006, des voix finnoises sont venues se joindre au choeur de GRENZE grâce au festival Pixelache d’Helsinki. Aujourd’hui la performance se joue avec le mixage des voix finnoises et françaises.

De 2002 à 2005 j’ai travaillé avec les stagiaires de AERI, qui propose des stages à des personnes en difficulté à Montreuil. J’y ai ouvert un atelier de lectures enregistrées. S’y croisent des textes de Ghérasim Luca, Marguerite Duras, Racine, Andreï Tarkosvky, Godard, Beckett, Karl Marx…

« Il me semble que tu as trouvé une belle manière d'agencer deux lignes distinctes dans la rumeur du monde. Il a dans ta proposition quelque chose qui met en tension deux formes de la communauté : celle glorieuse du prolétariat (malgré sa mortifère fuite en avant qui fut la sienne de la gestion de la classe ouvrière et de la production d'État), dans ce qu'il a de modalités de désidentification en même temps que de subjectivation collective de la puissance; et celle plus "spirituelle" (?) des procédures d'hospitalité et/ou de compagnonnage dans le voyage des gueux, des parias, des drogués, des fous prêts à s'embarquer dans la nef des fous qui traverselLes Régions, celle des petites communautés de vie que nous essayons ensemble à AERI de faire vivre en dépit des lignes de mort contenues dans les substances, les dispositifs institutionnelles, les appareils de pouvoir et d'identification, les machines monothéistes… » Josep Raffanell I Orra, psychologue.

Des images sonores accompagnent GRENZE. Les formes et figures sont pour la plupart des corps sonores avec leurs sons spécifiques qui évoluent pendant toute la durée de la performance vidéo.
Le dialogue prend place entre les sons. Le vent s’installe au centre des images et agit comme propagateur ou révélateur des images sonores.
Emeric Aelters compose l’ensemble des corps sonores et une musique électronique originale en direct pendant toute la durée de la vidéo performance.
Aelters suit une carrière en solo dans le milieu de la musique électronique européenne.